La nuit sans cœur

I - Le crépuscule
Avant d’être le sans-cœur, il était comme vous et moi.
Il ne lui fallut qu’un instant pour vivre une perte qui les valait toutes.
“Ça fait si mal que tout le bien qui fût n’est plus” se dit-il.
Et la nuit tomba.

II - La peine
Le sans-cœur, hébété, se laissa sombrer dans la pénombre, ressassant ses souvenirs.
“J'aimerais pleurer, mais je ne sais pas comment faire” pensa-t-il.
Il ferait nuit pour un long moment et seule la lumière des lampadaires éclairerait le dehors.
Mais la lumière du moindre des lampadaires n'est pas moins lumière.

III - Le déni
"Personne ne sait qu'il me manque quelque chose. Personne à part moi.”
Le sans-cœur avait tenté d’ignorer son chagrin jusqu’à ce qu’il disparaisse, sans succès.
Au lieu de décliner, son deuil n’en devenait que plus lourd à porter.
Il se mit en quête d'une solution.

IV - Le marchandage
En apercevant une belle lueur rose, il crût une seconde avoir trouvé la réponse à son problème.
Arrivé devant la gondole pleine, il dut ravaler son enthousiasme devant l’immense mur de cœurs qui s’offrait à lui.
“La solution n'est pas ici” se dit-il.
Comment une chose produite en série aurait-elle pu répondre à une peine si intime ?
Le sans-cœur sortit du magasin les mains vides, mais la tête acquise à une nouvelle idée.

V - La résignation
Décidé à se débrouiller seul, le sans-cœur entreprit de se tailler ce qui lui manquait.
La tâche était ardue et il se blessa à plusieurs reprises.
Il n’y prêta pas attention cependant, soulagé à l'idée que son épreuve prendrait, peut-être, bientôt fin.
"Ça fera l'affaire. Ce n'est pas parfait, c'est suffisant."
Dehors, le jour commençait à poindre.

VI - L'aube
À l’aube, le sans-cœur n’était plus.
Il pansa ses blessures et se prépara pour le jour à venir, plein d’une sérénité nouvelle.
Comment aurait-il pu nourrir de la colère envers le destin ?
Sa peine passée rendrait sa joie future plus belle, aussi vrai que l'inverse s'était produit.
Il fallut qu’il manque de peu de se perdre dans la douleur pour se trouver, mais il y était parvenu.
“Quand on a été tellement triste, on aime les levers de soleil.”